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On s’en doutait en écoutant les chansons d’Eels : ça ne va pas fort dans la tête de leur chanteur Mark Oliver Everett.

Publié le par chrisdups.over-blog.com

Autobiographie ou rode le malheur, la drôlerie et la folie.

Avec sa barbe immense, il ressemble de plus en plus à John Lennon époque, Give Peace a Chance. Avant son concert au El Rey de Los Angeles, qui vient clore une tournée mondiale, Mark Oliver Everett ne cache pas son soulagement d’être de retour chez lui. “Que vais-je faire demain ? Je n’en ai pas la moindre idée”, se réjouit le chanteur. “Quel type d’ego faut-il avoir pour écrire un livre sur sa propre vie ?”s’interroget- il au début de son autobiographie récemment parue en France, Tais-toi ou meurs

Petit garçon solitaire et malingre “qu’on prenait souvent pour une fille”, il serait sans doute devenu fou s’il n’avait déniché, à 6 ans, une batterie dans son grenier. Le reste de ses découvertes n’a rien eu de réjouissant. A 12 ans, il trouve dans sa rue, après le crash d’un avion, des morceaux de corps éparpillés. A 16, le corps de sa soeur, victime d’une overdose dans la salle de bains. Et à 18, celui de son père, scientifique et génie sous-estimé, mort d’une crise cardiaque. 

Il décide alors de foutre le camp de sa banlieue. Traverse l’Amérique avec l’objectif, comme tant d’autres naufragés de l’american dream, de “make it” à Los Angeles. De désillusions en malchances, il passera par toutes les étapes du chemin de croix du musicien à la recherche de label. Enregistre ses premiers morceaux dans sa cave, “en tapant par terre avec des outils de bricolage pour faire des percussions”

On apprend beaucoup de choses dans Tais-toi ou meurs. Si son auteur cite en modèle la biographie de Ray Charles, le livre fait aussi penser, par ses qualités littéraires propres, à du Michel Leiris ou au John Fante du Vin de la jeunesse. Une écriture sobre, minimaliste. Comme dans ses chansons, il magnifie l’effroyable banalité du malheur. Avec l’ironie et l’humour noir à la rescousse. Certes, sa famille ressemble à un asile de fous. Lui-même a toujours été attiré par les filles frappadingues (un chapitre aussi hilarant qu’émouvant est consacré au sujet). 

Mais cette folie douce des vaincus, des hypersensibles et des haut perchés est salvatrice dans ce monde lyophilisé et terne que devient l’Amérique des 80’s. Radioscopie de la Middle America et de ses déboires, Tais-toi ou meursest aussi une passionnante leçon de vie/guide de survie pour musicien amateur. On y plonge dans le L. A. des musiciens, le quartier d’Echo Park, entre paumés, arrivistes et requins. 

On y rencontre Neil Young ou Tom Waits, dont les coups de fil absurdes enchantent le narrateur (le maestro lui explique que son premier album “lui fait penser à une omelette norvégienne”). Après ces années de dépression, l’optimisme serein qui se dégage de la lecture semble désormais porter le chanteur, en tête à tête comme sur scène. Déchaîné, il y passera quatre heures à alterner morceaux rares et tubes, comme un I Like Birds version punk. Ses sept musiciens l’imitent jusque dans sa pilosité impressionnante et ses sapes rétrochic. Avant de partir, E. cite la dernière phrase de l’album blanc des Beatles : “And in the end, the love you get is equal to the love you give”… Il fêtera bientôt ses 50 ans. Finalement, c’est pas si mal de vieillir.